Le 104, un an d'existence, et déjà en panne

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Qu'est-ce qu'un lieu de création qui n'a plus de moyens pour ses artistes ? Le 104 tangue, et son avenir va se jouer dans les jours qui viennent. Installé au 104, rue d'Aubervilliers, dans les anciennes pompes funèbres de la Ville de Paris, dans le 19e arrondissement, le 104 devait être le phare de la politique culturelle du maire, Bertrand Delanoë (PS) ; pour l'heure, l'image du paquebot dans la tempête semble plus appropriée. Un an après son inauguration, en octobre 2008, l'immense vaisseau de 40 000 m2 peine à remplir ses missions.

Le prochain conseil d'administration, prévu jeudi 12 novembre, marquera peut-être un tournant. Les deux directeurs du lieu, les metteurs en scène Robert Cantarella et Frédéric Fisbach, devront s'expliquer sur le déficit de 600 000 euros. Mais pas seulement : il y sera aussi question du renouvellement de leur mandat, lequel expire en mars 2010. Les deux hommes ont le choix de présenter, ou non, un nouveau projet pour les trois ans à venir. Et le conseil d'administration a le choix de l'accepter, ou pas.

Le 104 a vocation d'accueillir des artistes en résidence, cinéastes, romanciers, musiciens, danseurs, designers, etc., le temps de concevoir ou de finaliser une oeuvre. La démocratisation culturelle est l'autre enjeu, et pas des moindres : à l'occasion de visites d'ateliers, le public est convié à voir "l'art en train de se faire". On peut assister à un concert de musique contemporaine de Gérard Pesson, s'engouffrer dans les "portes ouvertes" du rappeur Zoxea. L'offre est riche, et variée.

Encore faut-il que les visiteurs prennent le chemin du lieu. Les artistes en résidence ne sont pas toujours connus du grand public. Mais c'est aussi le pari du 104 : donner le temps à des auteurs singuliers de faire émerger leur création. Et proposer au public autre chose qu'un spectacle déjà achevé.

Le 104 devait être une "ruche des arts ". L'allée centrale qui relie la rue Curial à la rue d'Aubervilliers était censée devenir un "passage public" : or, c'est souvent morne plaine. Il faut dire que les commerces et services de proximité (librairie, café, Maison des petits...), qui font partie intégrante du projet, ont tardé à voir le jour. Plusieurs fois repoussée, la date d'ouverture du restaurant est maintenant fixée à "mai 2010". La crise économique a aussi retardé les travaux.

"PLUS DE DÉMESURE"

La Mairie de Paris n'y trouve pas son compte, au regard des sommes engagées : seul financeur public du 104, la Ville verse une subvention annuelle de 8 millions d'euros, après avoir investi 100 millions d'euros pour sa restauration, avec le concours de la région Ile-de-France. Adjoint à la culture de Bertrand Delanoë, et président du conseil d'administration du 104, Christophe Girard ne cache pas son impatience : "Comment remplir ce vide ? Il faut un peu plus de démesure, inventons des installations extravagantes !", lance-t-il à l'attention de "ceux qui dirigent le 104, et de ceux qui le dirigeront à l'avenir". Certains redoutent un virage à 180 ° : la friche culturelle va-t-elle devenir une boîte à événements ? "Dans la lumière aveuglante du spectacle, on ne voit pas la lueur des lucioles ", souligne le cinéaste Nicolas Klotz, actuellement en résidence avec Elisabeth Perceval, pour préparer leur prochain tournage, Low Life. La métaphore vise tout ce labeur invisible dans les ateliers, "qu'il faut financer sur la durée", insiste le cinéaste.

Mais comment faire décoller le lieu ? Cantarella et Fisbach demandent qu'on leur donne du temps. Et un peu plus d'argent. L'enveloppe actuelle de 8 millions d'euros, à laquelle il faut ajouter quelque 2,5 millions d'euros de ressources propres (location d'espace, mécénat), ne suffirait pas. Cantarella est catégorique : "On a besoin de 2 millions supplémentaires. Tout, ou presque, part dans le fonctionnement du bâtiment." Chauffage, entretien, sécurité... et salaires. Le 104 a été calibré pour un volant de soixante salariés permanents. Un effectif qui s'est vite révélé insuffisant. De nombreuses personnes qui ont été embauchées en contrat à durée déterminée réclament aujourd'hui la pérennisation de leur poste.

UNIVERSITÉ DE TOUS LES ARTS

Toujours est-il qu'il reste peu de moyens pour la création, et encore moins pour la programmation de spectacles. Plusieurs artistes confirment : faute d'argent, ils ne peuvent utiliser pleinement le formidable outil qu'est le 104. Organiser une projection dans la salle de deux cents places ? Impossible, le 104 ne peut pas payer un technicien de plus. Faire venir le philosophe Jean-Luc Nancy pour une conférence ? Bonne idée, mais qui va payer son billet de train ? Vendredi 30 octobre, le 104 était fermé au public. Loué à une entreprise pour un événement.

Membre du conseil d'administration, et directeur de l'Arcadi, une structure qui soutient la création en Ile-de-France, Frédéric Hocquart plaide "pour que la Ville augmente l'enveloppe dédiée à l'artistique". L'une des pistes serait de faire entrer de nouveaux acteurs dans le financement - région, départements limitrophes ? En attendant, Cantarella et Fisbach préparent l'acte II : ils proposent de créer une université de tous les arts au 104. "La visibilité permanente n'est pas la solution. Est-ce que l'on peut se payer de l'invisible ?", s'interroge Fisbach. Si la réponse est non, les deux hommes l'assurent : ils iront voir ailleurs.

Clarisse Fabre
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Le 104, rue d'Aubervilliers, à Paris.
Olivier Dumons
Le 104, rue d'Aubervilliers, à Paris.
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  La lecture du commentaire de "ALC" fait chaud au coeur: "l’énergie positive et l’esprit d’ouverture de l’art contemporain pluriel" sent bon son charabia delanoesque.. on t’a reconnu Christophe Girard!  
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